L’être vivant appréhende le monde à travers ses sens. Le réel, muet, ne se livre qu’en éclats traduits par la perception. La vue en offre un exemple limpide de la transduction à l’œuvre : la lumière, rayonnement électromagnétique, atteint la rétine, où elle est convertie en signaux électrochimiques. Les influx nerveux sont ensuite interprétés par le cortex cérébral en couleurs, contrastes, formes et reliefs. L’audition, le toucher, l’odorat ou encore le goût obéissent au même principe : non pas une reproduction fidèle de ce qui est, mais un reflet façonné par les interfaces biologiques. Ainsi, l’objet perçu n’est pas la chose en soi, mais une construction neurosensorielle.

Pour autant, l’intermédiation sensorielle n’érige pas de barrière infranchissable à la connaissance. Par le jeu des mutations génétiques et de la sélection naturelle, les sens favorisant la survie ont émergé et se sont développés progressivement : orienter le mouvement, discerner les menaces, ou encore agir sur l’environnement. Le cerveau — détecteur de formes et chasseur de régularités — dépasse la médiation sensorielle : il repère des motifs à partir de signaux épars. Cette capacité à reconnaître des structures — symétries, cycles, causalités — permet d’accumuler l’expérience, de la transmettre, de la raffiner. Néanmoins, ce même cerveau qui s’efforce d’ordonner le réel se heurte à ses mirages : biais cognitifs et affects viennent troubler la justesse de son discernement.

Face aux écueils de la cognition individuelle, la méthode scientifique incarne un garde-fou. Sans sombrer dans un relativisme où tout se vaut, elle hiérarchise la robustesse des théories et exige leur mise à l’épreuve par des protocoles indépendants. Ses piliers sont la réfutabilité, la reproductibilité et la critique collective. Les modèles sont révisables : le dialogue constant entre théorie et expérience ajuste les degrés de confiance — certaines observations les renforcent, d’autres les affaiblissent, et parfois de nouveaux éclairages sauvent ce qui semblait perdu. Là où le dogme, arc-bouté sur la certitude, ne cède qu’à la contrainte, la science plie devant la preuve et se corrige. Sa fragilité apparente — doute, erreur, révision — est la source même de sa force.

Des vaccins aux satellites, de l’assainissement de l’eau à l’électrification, la science ne se contente pas d’énoncer : elle soigne, prévoit, bâtit. Pourtant, lorsque la boussole vacille et que la méthode peine à tracer une route sûre dans l’océan de l’incertitude, s’ouvrent des territoires mouvants où les preuves ne suffisent plus : la décision se joue alors entre valeurs, intérêts et rapports de pouvoir.